Le loup et l'agneau
Biographie de l'auteur
La Fontaine est aujourd’hui le plus connu des poètes français du xviie siècle, et il fut en son temps, sinon le plus admiré, du moins le plus lu, notamment grâce à ses Contes et à ses Fables. Styliste éblouissant, il a porté la fable, un genre avant lui mineur, à un degré d’accomplissement qui reste indépassable. Moraliste, et non pas moralisateur, il pose un regard lucide sur les rapports de pouvoir et la nature humaine, sans oublier de plaire pour instruire.
Famille
Il est né le 7 ou 8 juillet 1621 dans un milieu bourgeois de province ; son père est conseiller du roi et maître des Eaux et Forêts ; sa mère est veuve d'un premier mari, négociant à Coulommiers.
Formation
Il fait des études de rhétorique latine, puis entame des études de droit, interrompues pour entrer à l'Oratoire, en vue d'une carrière ecclésiastique. Après un an et demi, il retourne au droit.
Début de carrière
Il se marie à vingt-six ans avec Marie Héricart. Il fréquente les milieux lettrés. En 1652, il achète une charge de maître des Eaux et Forêts. Il publie, anonymement et sans grand succès, une pièce, l'Eunuque (1654), inspirée de Térence.
Premiers succès
Il écrit deux longs poèmes, Adonis (1658) et le Songe de Vaux (1659), pour son protecteur le surintendant Fouquet, puis un recueil de Contes et Nouvelles (1665).
Gloire et difficultés
Il publie un nouveau recueil de Contes, puis fait paraître, en 1668, les six premiers livres des Fables, ainsi qu'un roman en prose et en vers, les Amours de Psyché et de Cupidon. Après la disgrâce de Fouquet et la mort d'une autre protectrice, il perd son titre de « gentilhomme servant ». Il est accueilli par Mme de La Sablière (1672) et renonce à sa charge de maître des Eaux et Forêts. Il rencontre les grands auteurs du moment : Molière, Racine, Boileau.
La consécration
Il rédige un livret d'opéra pour Lully (Daphné), fait paraître de nouveaux Contes puis, en 1678, une nouvelle édition des Fables largement augmentée. À l'Académie française où il est élu en 1684 malgré l'hostilité de Louis XIV, il lit son Discours à Mme de La Sablière, forme de confession personnelle. Dans la querelle des Anciens et des Modernes, polémique sur les mérites comparés des écrivains et artistes de l'Antiquité et de ceux de l'époque de Louis XIV, il prend parti pour les Anciens. Il écrit un nouvel opéra, l'Astrée.
Dernières années
À la mort de Mme de La Sablière en 1693, il se réfugie chez des amis parisiens. Il rédige ses dernières fables (il en aura écrit 240 au total). Il accepte de renier ses contes et décide de faire pénitence. Il meurt le 13 avril 1695. En 1817, son corps sera transporté au cimetière du Père-Lachaise.
La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
« Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
- Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
- Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?
Reprit l'Agneau ; je tette encor ma mère
- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. - C'est donc quelqu'un des tiens:
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos Bergers et vos Chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge. »
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
Jean de La Fontaine, Le loup et l'agneau, Livre I, Fable 10, 1668.
Pour mieux comprendre :
L'agneau : Petit de la brebis et du mouton.
se désaltérait : v. se désaltérer, boire.
une onde pure : l'eau est très claire.
survient : v. survenir, arriver sans avoir prévenu.
à jeun : qui n'a pas mangé.
hardi : très courageux mais parfois imprudent, téméraire.
un breuvage : une boisson.
châtié : sévèrement puni.
la témérité : une hardiesse extrême jusqu'à l'imprudence.l'imprudejusqu
médis : passé simple du v. médire, dire du mal de quelqu'un.
tette : v. téter, boire le lait de sa mère.
épargner : Ne pas tuer (un ennemi vaincu), laisser vivre.
venger : réclamer justice ; punir quelqu'un qui vous a fait subir une injustice.